Il était temps. Grand temps. D’oser parler des traumas perpétrés par l’église catholique en France. Traumas qui hantent la vie de centaines d’hommes, mais aussi de femmes (comme l’a révélé récemment le documentaire d’Arte sur le viol des religieuses). Traumas qui massacrent des vies, sous des couches épaisses de honte, de culpabilités à dire, de loyautés à briser.
En 2015, le film « Spotlight », oscar du meilleur film, avait été un choc pour la société américaine. C’était la première fois que ces abus étaient évoqués à grande échelle. En France, on se doutait qu’une institution aussi puissante que l’église catholique se jouait des frontières et qu’il en était forcément de même. Mais aucune parole n’avait pu se libérer suffisamment pour être entendue.
Les répercussions et conséquences de ces crimes dans les vies des abusés sont montrées ici dans leur diversité, certaines plus visibles que d’autres. Le personnage d’Emmanuel témoigne des traces laissées 30 ans après dans son quotidien : il n’a pas réussi à construire sa vie, allant d’échecs en échecs, hanté par une image de lui-même complètement dévalorisée.
Ce qui est frappant, c’est la colère chez tous, visible ou larvée, cette charge émotionnelle jamais expulsée, qui ravage les esprits et les corps. Dès qu’il reconnecte avec ses souvenirs, le personnage de François exprime le besoin de se décharger sa rage sur sa batterie et laisse la colère devenir le carburant de sa croisade personnelle pour qu’éclate la vérité. Retenue et intériorisée chez Emmanuel , elle se lit pourtant sur son visage d’écorché vif. Plus feutré, le personnage d’Alexandre est finalement le plus tenace et donc le plus efficient à ne plus accepter de laisser perpétrer ces abus. C’est sa détermination à ne rien lâcher qui va faire la différence.
La scène de rencontre entre l’abusé et l’abuseur, orchestrée par une médiatrice de l’église est particulièrement frappante : elle montre à quel point on ne peut pas passer directement à l’étape du pardon sans passer par la case colère. La colère a le droit de cité, c’est une charge qui, non reconnue, continue de vivre à l’intérieur de nous. Et qui peut continuer à le faire « silencieusement » pendant des dizaines d’années. Alors que paradoxalement elle « hurle » dans le corps et les cellules. On lit toute la lutte intérieure du personnage d’Alexandre sur son visage lorsque lui est proposé ce pardon express, immédiat. Ce pardon là est un pardon avec la tête. Pensé, intellectualisé. Dans les tripes, c’est une autre histoire.
La réalité est celle d’un long chemin dans lequel il est important de se reconnaître d’abord en tant que victime, puis de laisser à la colère la possibilité d’être dite, exprimée, voire hurlée. Avec toute la possibilité de défiger une charge énergétique qui ne demande qu’à se remettre en mouvement et à trouver une porte de sortie hors du corps.
Parlons chiffres. Les abus, de toutes sortes (conjoints, famille, église…) concernent 1 femme sur 3 et 1 homme sur 5. Ce sont des chiffres que nous retrouvons en cabinet. Ces chiffres édifiants et choquants à plus d’un titre montrent le vrai visage d’une société qui va mal et qui se tait.
Car le plus grand crime des abus, c’est le silence. Cette honte qui empêche même d’évoquer le sujet avec ses amis, sa famille. L’emprise de la respectabilité de l’institution qui immobilise et fige. Oser porter plainte, oser déposer devant un policier, oser mettre un bout de sa vie dans les mains de la justice. Oser. Avec tout ce que cela comporte de dégâts collatéraux dans les couples et les familles, mais aussi de délivrance de la souffrance grâce à la parole libérée.
Si ce film avait un seul mérite, ce serait celui de pousser chacun à demander de l’aide, à demander à être écouté, à demander à se faire accompagner. Nos cabinets de praticiens sont là pour ça. Oser pousser la porte permet parfois à une vie de refleurir et de prendre un tout autre tournant.
Ce film a le grand mérite d’évoquer toutes ces questions. C’est une œuvre de salubrité publique dont on ressort ébranlé, ému, retourné. Un film sobre et bouleversant sur la reconstruction, qui frappe fort et juste.
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